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L’attitude de l’administration Trump est-elle irrationnelle ?


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Très heureux de recevoir notre première contribution « membre » !

Jacques a écrit ce morceau et a reçu des commentaires de Michel et PL pour que je les publie...

Jacques est d'abord vétérinaire, puis a eu une longue expérience dans la Haute Administration avant de devenir entrepreneur (mais pas dans les start-ups ou la tech...). Nous avons toujours des débats intenses et intéressants et je suis ravi de lancer le côté "Forum" de ce blog avec cet article ! C'est le but du blog, n'hésitez pas à partager vos idées !


Jacques Sauret, le 1er mars 2025


Donald Trump a pris dès son intronisation toute une série de décrets bouleversant l'organisation et le fonctionnement de l'Etat fédéral américain, mais aussi le commerce mondial et le « système » mondial tel que défini à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. D'une brutalité jamais vue auparavant, ses actes et les discours associés ont déstabilisé ses alliés comme son pays, et interrogent sur les raisons qui l'ont amené à cela.


La première justification évoquée est le caractère de Donald Trump : égotique, narcissique, peu travailleur et peu cultivé, menteur invétéré, il reproduit ce qu'il pense savoir faire : des « deals », sur la base d'un rapport de force avantageux pour lui. Sûr de lui, il suit son instinct et veut traiter simplement des problèmes dont il n'appréhende pas la complexité. Comme pour le Brexit, il a évoqué en mots simples des promesses intenables mais qui ont été crues par une majorité d'électeurs, notamment des classes populaires, frustrées et en colère du fait de ne pas profiter (assez ?) de la richesse produite. Et, maintenant qu'il est élu et comme dit Poutine, « il fait ce qu'il dit et il dit ce qu'il veut ».


Tout ceci est vrai, mais ce caractère quasi psychotique ne peut à lui seul expliquer que les Etats-Unis en soient arrivés là. Notamment, cela n'explique pas que les milieux d'affaires aient soutenu Trump (alors que les milieux d'affaires anglais étaient clairement contre le Brexit avant le référendum de 2016) et ne semblent pas encore s'en détourner.


Un deuxième niveau d'explication est idéologique. La politique suivie serait une revanche des idées du Parti républicain d'avant Roosevelt et son New Deal. Fait d'isolationnisme et de conservatisme social et religieux, il renouerait avec la doctrine Monroe du XIXème siècle (le continent américain est sous la domination des Etats-Unis, et pour le reste, les autres puissances font ce qu'elles veulent). Le Project 2025 de la Heritage Foundation s'inscrit dans cette vision, alors que les décisions de l'administration Trump semblent acter sa mise en œuvre. Le soutien aux idées et aux mesures appliquées par Trump affiché par des hommes d'affaires européens comme Bernard Arnaud, Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin, tous clairement très conservateurs sur les plans politiques, social et religieux, démontre que ce positionnement peut être celui d'hommes intelligents et non américains.


Là encore, c'est sans doute vrai, mais cela ne peut expliquer intégralement l'attitude des marchés et des milieux d'affaires américains : tous les businessmen américains, que ce soit dans la tech ou dans l'industrie traditionnelle ou les services ne sont pas des conservateurs au sens décrit dans le Project 2025.


Il y a donc peut-être un troisième niveau d'explication qui vient s'ajouter aux deux précédents : le pragmatisme. Il est de bon ton de souligner le dynamisme de l'économie américaine, le décrochage de l'économie européenne par rapport à elle, etc. Cependant, au-delà des réussites de la Tech et des GAFAM, nombreux sont les signes inquiétants : 1) le déficit budgétaire est structurellement très élevé, autour de 6 % du PIB, et difficilement compressible (près de 80 % des dépenses sont liées à des dépenses sociales -Medicaid et Madicare) ; 2) par voie de conséquence, la dette monte inexorablement (36 000 mds USD au début 2025, soit 120 %, du PIB, contre 5 000 mds USD en 2001, soit 45 % du PIB d'alors) ; 3) le taux de pauvreté (selon l'OCDE, c'est la proportion de la population ayant moins de 50 % du revenu médian) est de 18 % aux Etats-Unis, à comparer à celui du Mexique (16,6 %) du Canada (10,1 %) et de la France (8,5 %). Les inégalités sont donc très fortes ; 4) l'espérance de vie aux USA est en diminution, et elle est inférieure de 5 ans par rapport à celle des Français, pour les femmes comme pour les hommes ; 5) la place du dollar dans les réserves mondiales baisse depuis 20 ans, passant selon le Fonds monétaire International (FMI) de plus de 70 % en 2000 à 58 % en 2024. Son utilisation par les Etats-Unis comme arme vis-à-vis d'autres pays ou entreprises, à travers des lois extraterritoriales, incitent les pays tiers, dont les BRICS, à se détourner petit à petit du dollar américain ; 6) d'après Thomas Piketti (cf. tribune dans Le Monde, février 2025), en parité de pouvoir d'achat (PPA), la Chine a un PIB de 30 % supérieur à celui des Etats-Unis et l'Europe a rattrapé le retard avec ces derniers en termes de productivité ; 7) un des indicateurs de la force d'une économie est le niveau de ses taux d'intérêts. Or, les taux d'intérêts américains sont supérieurs à ceux de l'Europe. La force du dollar est largement due à ces taux d'intérêts élevés.


Au final, l'économie américaine apparaît dopée à l'argent publique et semble dans une situation somme toute délicate, et en tous cas moins flamboyante que ce qui en est dit le plus souvent. C'est un colosse au pieds d'argile, qui ne peut se satisfaire de faire perdurer le système actuel : le libre-échange généralisé, lancé par Ronald Reagan et Margaret Tatcher au tournant des années 80, a bien profité aux pays occidentaux jusqu'à l'émergence des pays asiatiques, le Japon tout d'abord, puis la Corée et enfin la Chine. Plus récemment, le Vietnam et surtout l'Inde sont dans une phase de croissance forte et prolongée. La numérisation généralisée a permis aux entreprises internationales d'optimiser les conditions de production en les gérant au niveau mondial, les amenant à délocaliser en Asie l'essentiel de la production mondiale. Cette délocalisation ne peut être enrayée spontanément sans changer les règles du jeu. Et comme cette délocalisation appauvrit les classes populaires et moyennes inférieures des pays dits développés, celles-ci sont mécontentes et rejettent les gouvernants « historiques » et leurs projets. Le vote du Brexit en est une illustration, comme la montée des extrêmes droites et des nationalistes en Europe et dans le continent américain (Trump, Bolsonaro, Milei, Allemagne, France, Suède, etc.).


En parallèle, la croissance démographique mondiale couplée d'une part à l'enrichissement de populations nombreuses, notamment en Asie, et d'autre part à la volonté d'une transition énergétique, induit une croissance importante et durable des besoins en matières premières, au premier rang desquelles les métaux. La Chine a anticipé ce besoin et s'est engagée depuis 2013 avec les « Nouvelles Routes de la Soie » dans une politique de partenariats avec de nombreux pays producteurs de matières premières. Les Etats-Unis et l'Europe n'ont pris conscience qu'assez récemment du caractère stratégique de ces matières premières, et du fait que la demande allait dépasser l'offre avant la fin de la décennie.


A partir de ces constats, il apparaît rationnel pour les Etats-Unis de vouloir « renverser la table » et de profiter de leur puissance actuelle, économique et militaire, pour instaurer de nouvelles règles qui leur soient favorables : bilatéralisme pour être plus à l'aise dans le rapport de force ; volonté d'expansion sur les minerais (Groënland, Ukraine) ; frein aux importations pour stopper l'hémorragie du déficit commercial ; réduction drastique des dépenses publiques pour limiter l'augmentation de la dette ; et enfin préserver la dollarisation des échanges internationaux et si possible en profiter pour récupérer des revenus (projet évoqué récemment de taxation des échanges internationaux en dollar au profit de l'Etat fédéral américain).


Il n'y a pas lieu de s'offusquer de ce changement de pied, car les Etats-Unis ont toujours mis leurs intérêts réels, d'abord économiques, comme priorité. Ce qui a changé, c'est surtout leur discours, qui était rempli jusqu'à peu de justifications morales et idéologiques (les droits de l'Homme, la démocratie, la liberté contre le communisme et l'autoritarisme). Il est maintenant direct et sans faux semblant : America First ! Mais les actions, elles, ont peu changé : soutien à des coups d'Etat militaires dans les années 60 à 80 (Brésil, Chili, Nicaragua, etc.), mensonges pour justifier des interventions militaires (2ème guerre du Golfe), non intervention malgré la transgression de lignes rouges (ex : Obama et la Syrie), pressions multiples et quasi systématiques auprès de multiples pays pour qu'ils achètent de l'armement américain. L'intérêt des Etats-Unis est toujours passé avant toute autre considération. Mais le discours était policé. Il est notable que l'Administration Biden n'ait pas annulé les principales décisions de l'Administration Trump I.


Il est assez surprenant de voir que la plupart des journalistes et des commentateurs regardent le doigt (les mots outranciers, les mesures idiotes ou illégales, etc.) sans regarder la lune. Il faut maintenant être lucide, notamment pour les Européens, et sortir de la dépendance stratégique et militaire vis-à-vis des Etats-Unis. Il semble que cela soit enfin envisagé, notamment par les pays du Nord de l'Europe, et notamment l'Allemagne et le Danemark. Pour ce qui concerne les Etats-Unis, la question est de savoir si la forme utilisée durant ces première semaines d'administration Trump, faite de brutalité et de vitesse, tant interne qu'externe, ne va pas entraîner des réactions bloquant la démarche et même faisant s'écrouler l'économie américaine, avec des conséquences imprévisibles en matière politique. A ce titre, le parallèle avec la démarche employée par Hitler à son arrivé au pouvoir en 1933 a de quoi inquiéter, car même si la nouvelle politique américaine est pragmatique, il n'empêche qu'elle est menée par un homme dangereux pour la démocratie, son pays et le Monde.


Juste pour cette fois (après, j'espère que vous réagirez directement sur le forum ;), vous trouverez ci-dessous les réactions de PL et Michel.


PL :

Pour moi 2 ou 3 choses à la marge :

- Je pensais, que tu soulignerais davantage l'inquiétude de l’administration US concernant leur retard sur la Chine au niveau approvisionnement en métaux et terres rares, mère de toutes les batailles (...)! 

Sinon quelques broutilles : 

-"du fait de ne pas profiter (assez ?) de la richesse produite". Je pense que le point d'interrogation est superflu, d’autant que les chiffres que tu présentes ensuite sur le niveau de pauvreté sont éloquents.

- « Il n'y a pas lieu de s'offusquer de ce changement de pied, » Personnellement, j’aurais mis « on peut s’offusquer…» qui laisse la place à certains de penser que le pragmatisme n’excuse pas l’égotisme, le narcissisme et les mensonges invétérés.


Michel :

Je suis aligné en tout point à ta réflexion en espérant que l’appel a plus d’union européenne notamment en terme de défense autonome soit suivi.

Je rajouterai quelques éléments de contexte sur la montée en puissance et le ralliement d’une majorité d’américains au discours trumpien (à défaut d’idées… 😉):

  • Covid et inflation (crise de l’énergie) ont appauvri les classes moyennes et populaires ces 4 dernières années aux US, de façon plus aiguë et soudaine encore que les délocalisations.

    • La réponse serait dans l’accélération de l’économie américaine…

  • « La régulation bride la liberté d’entreprendre » :

    • La dérégulation est donc perçue comme pro-business avec tous ses corolaires théoriques  positifs attendus: gains de productivité, emplois, croissance, pouvoir d’achat etc…

    • Les démocraties avancées et leur cortège de lois et normes sont perçues comme des obstacles à cette « liberté ».

    • Le ralliement tardif des GAFAM s’explique aussi par le risque de démantèlement (pour raison de monopole) en cas de non allégeance au pouvoir en place.

  • « La gabegie fédérale » :

    • Le sentiment anti Washington est profond et l’état fédéral est monté en bouc émissaire comme Bruxelles chez nous. Le ressenti étant que l’argent serait moins et mieux dépensé localement

  • « Les démocrates sont tous des wokistes et le wokisme détruit nos valeurs fondamentales»

    • L’omniprésence des débats autour de la fluidité de genre, de la dette coloniale, de la persécution des minorités dans les milieux intellectuels et médias essentiellement démocrates ont poussé une frange non négligeable de la population vers un conservatisme religieux et les représentants des idées réactionnaires.

Ce qui me frappe ces derniers temps, et pas seulement aux US, est la perte d’impact de la vérité, des contre-pouvoirs qui sont censées la défendre et la propagation d’idées grossièrement fausses qui rallient une majorité. Que les russes après tant d’années de désinformation et de propagande pensent que les ukrainiens sont des nazis les ayant attaqués, cela s’entend. Que des grandes démocraties basculent dans de telles extrêmes, cela inquiète. L’Europe saurait-elle résister ?


 
 
 

1 commentaire


mfellbom
05 mars

En ce qui concerne la réaction des milieux économiques et financiers, il ne se dégage pas le même consensus qu'en 2016, lors du "Trump Trade", lorsque le marché buvait du petit lait en se réjouissant des perspectives de potentielles dérégulations et d'un gouvernement pro-busines et surtout promettant de baisser les impôts des plus nantis.

Les mêmes promesse sont là en 2025, mais le danger de la mise en place des nouveaux tarifs douaniers fait peur, d'où des marchés financiers qui ont récemment commencé à réagir sévèrement à la baisse. En effet, le retour de l'inflation est passé par là depuis le Covid et la Fed, ne ma considérant pas encore sous contrôle, s'inquiète des répercussions de ces tarifs sur les…

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